« Nous, les rappeuses, on est carrément transparentes«
C’est ce qu’a exprimé Tehila Ora concernant le projet du moment dans le rap, « 13 Organisé« . Sorti cet hiver, le projet regroupait 50 talents de Marseille sur une compilation de 13 chansons. La France considère déjà que l’album représente la culture rap des Bouches du Rhône. Cependant, il fut intéressant de constater qu’une infime partie du public a remarqué un oubli majeur dans le disque. Les femmes ! Sur les 50 artistes présents dans l’album, il n’y a qu’une seule femme. Seulement 2%… On est bien loin de la parité. Ceci peut paraître superficielle pour certains, cependant cet oubli inconscient valide les propos de Tehila Ora : les rappeuses sont transparentes. Leur contribution n’était pas vu comme une plus value à un projet qui, encore une fois, devait représenter le 13ème département dans son ensemble.
« L’industrie est un putain de club pour hommes »
C’est comme cela que Lady Gaga a qualifié l’industrie de la musique dans l’un de ses discours. La majorité des artistes féminines a une équipe principalement composée d’hommes. Plus on monte dans la hiérarchie de ces équipe, plus les femmes se font rares, voir inexistantes. Les personnes prenant des décisions sur le comportement, la direction artistique etc… de ces rappeuses ou popstars, sont des hommes. Ceci peut paraître anodin, on juge avant tout un employé sur ses compétences. Toutefois, dans la musique cette domination masculine va au delà de la composition des équipes.
Des classements reflétant la société
Sur les 30 chansons les plus streamées en France, seulement 6 sont interprétées par des femmes. 4 de ces chansons sont des hits de Angèle ou Aya Nakamura. Dans le Top 20 albums, nous n’avons que 3 artistes féminines. Les femmes se comptent sur les doigts de la main lorsqu’il s’agit de nominations dans les cérémonies les plus prestigieuses. Le traitement des médias est plus complaisant avec les artistes masculins.
Les seuls moyens de retrouver des artistes féminines dans les classements sont les featurings et les gros buzz. Là où les artistes masculins peuvent développer un personnage qui attirera la curiosité même si il n’a que 10,000 followers. Les femmes doivent créer un buzz pour que le public daigne s’y intéresser. Elles doivent ensuite être validées par leurs collègues, puis faire leurs preuves jusqu’au deuxième album. Le public a des attentes plus hautes pour les femmes, que ce soit concernant les tenues, la chorégraphie ou même leurs paroles. Et ces doubles standards sont encore plus présents lorsqu’il s’agit du milieu Hip-hop et R&B, qui reste très sexiste.
Les doubles standards dans la musique
Une des artistes ayant fait les frais de ces doubles standards est Shay. Aux États-Unis, lorsque Nicki Minaj a commencé à percer, le système l’a soutenue. C’est pareil pour Cardi B, Iggy Azalea et Megan Thee Stallion. Même si leur place est souvent remise en doute, elles ont réussi à se faire un nom dans le rap game.
Ce n’est malheureusement pas le cas de notre rappeuse belge. Lorsque cette dernière lance son album « Jolie Garce » fin 2016, il est difficile pour elle de faire accepter le fait qu’une femme peut parler de ses parties génitales. Mieux encore, parler ouvertement de sa sexualité et partager ses idées féministes qui semblent décontenancer le public. Bien que le projet soit acclamé par des critiques qui y voient l’espoir d’une ère prospère pour les rappeuses, le public semble avoir du mal à accepter ce personnage qui assume sa sexualité.
Ceci fait parti des « problèmes » auxquels ne sont pas confrontés les rappeurs. Ils peuvent évoquer des sujets comme le sexe, la drogue et les armes sans que cela n’empêche le pubic de les juger objectivement sur la qualité d’un projet. Autre point positif, là où Shay ne peut se dénuder sans subir des remarques sexistes, un rappeur peut se promener durant tout un clip torse nu entouré de femmes sans vêtements.
Lorsque Shay se rend sur Planète rap…
…On se rend compte à quel point il est difficile pour une artiste comme elle de prendre en crédibilité. Les commentaires de la vidéo en sont la parfaite illustration et montrent également qu’il y a un problème très profond dans la société (française).
Malgré la hype qui se crée autour d’elle, cet élan de sexisme à son encontre empêche l’album de voir plus loin que le disque d’or. Aujourd’hui encore, elle est critiquée pour le contenu de ses paroles. Cependant, devrions nous faire une compilation des paroles des rappeurs ?
« J’ai baisé Rihanna sur la vie de ta mère » Alonzo
« mais on préfère les tchoins » Kaaris
« je crois bien que je suis condamné qu’à baiser des groupies » PNL
Cette liberté sexuelle commence à se répandre, notamment avec des femmes comme Aya Nakamura qui ont un public plus tolérant. Toutefois, ces artistes prennent le risque qu’on les juge uniquement sur cette facette. Ce qui n’est pas le cas pour leurs collègues masculins.
Kenny Arkana est probablement la seule rappeuse du milieu à avoir un respect du public et de l’industrie sur le côté artistique. Cependant, son succès commercial n’équivaut pas celui de ses confrères présents sur « 13 Organisé« . La seule ayant réussi à se faire une place parmi les poids lourds fut Diam’s. Considérée comme la bonne copine, ce côté « garçon manqué » est justement ce qui lui a permis d’obtenir le respect des hommes du milieu. Néanmoins, étant une rappeuse franche et honnête dans ses paroles, il est étonnant de voir qu’aucun de ses textes n’a de connotation sexuelle. Est-ce une décision volontaire de sa part par pudeur, ou est-ce une décision stratégique pour ne pas fissurer cette image du garçon manqué ?
Les femmes dans « l’urbain », des perles rares ?
Bien qu’il soit évident que le marché a encore beaucoup de progrès à réaliser, en 2020 le paysage est beaucoup plus garni qu’il l’était auparavant. Sur Anthem nous avons déjà évoqué les carrières de Yseult ainsi que Le Juiice. Mais la liste est bien plus longue :
- Imen Es
- Lous and The Yakuza
- Ocevne
- Aya Nakamura
- Lyna Mahyem
- Lynda
- Chilla
- Eva
- Wejdene
Là où il peut être facile de citer 10 artistes masculins dans « l’urbain » qui enchaînent les disques de platine, il semble que Aya et Wejdene sont pour le moment les seules à réussir. Lyna Mahyem a justement pris le temps d’expliquer lors d’une interview pourquoi il est difficile de highlight plusieurs artistes féminines.
A 12mn30, elle explique clairement que pour elle : la plupart refuse de partager la lumière. Bien que son point de vue n’est pas totalement le reflet de la réalité, il soulève quelque chose de très vrai. Il est difficile de partager la lumière car les places sont couteuses et limitées. Pour les femmes seules 2 ou 3 dans la même catégorie peuvent cohabiter.
Les femmes dans le milieu urbain se multiplient. En 2020, on a enfin la possibilité de parler de ce sujet, en soulevant des exemples concrets et chiffrés. Penses-tu qu’on entre dans une ère où nous aurons davantage d’artistes urbaines à être soutenues par le public ?
See you back on ANTHEM