
Photo d’archives/REUTERS/Christian Hartmann
Les manipulations des labels : le streaming
Et oui, ce sujet mérite encore quelques lignes. Nous avons pris le temps de vous expliquer la longue histoire sur les manipulations des labels avec la payola des radios, il est désormais temps que l’on embraye sur le sujet des nouvelles formes de payola qui subsistent en 2020 avec le streaming. Aujourd’hui, elles sont légalement acceptables sous la forme de partenariats ou associations entre deux parties. Cependant, le résultat reste le même. Les grands labels ont plus de facilité à mettre en avant leurs artistes. Que ce soit des fausses vues sur Youtube, ou des bots réalisant des faux streams, le système a complètement changé.
Le streaming
Devenu le moyen de consommation le plus populaire, on ne le présente plus aujourd’hui. Néanmoins, prenons le temps de voir l’état du marché de la musique à l’heure actuelle (plus ou moins).

Revenus en France sur 2018. Source : SNEP
Selon la SNEP, le streaming représentait 59% des ventes en France en 2019, une augmentation constante depuis 4 ans. L’industrie de la musique commence à rattraper ses pertes et l’année 2019 a été l’une des plus prolifiques depuis presque 10 ans. Ce qui était donc considéré au début comme une tendance, est devenu le moyen de consommation #1 aujourd’hui.
Deezer, Spotify et Pandora furent les premières plateformes à sortir du lot en Occident, ainsi que Tencent Music et Joox en Asie de l’Est. Néanmoins, comme tout business en essor, la concurrence ne s’est pas faite attendre. Afin d’obtenir leur part du marché, Apple Music et Tidal se sont associés à des artistes A-list à travers des contrats d’exclusivité. En quoi consiste ces contrats ? Quelle clause garantie qu’il s’agit d’une exclusivité ? Le contexte est simple, l’artiste accorde à une plateforme la possession unique d’un titre ou album durant un temps limité. En échange, la plateforme accorde à cet artiste une place de choix dans ses playlists.
Cela a été le cas de Drake. Artiste le plus populaire sur les plateformes de streaming, il a signé un contrat d’exclusivité avec Apple Music. Ou encore Rihanna, son équivalent féminin, qui a elle rendu disponible son album Anti uniquement sur Tidal pendant une semaine. Derrière ces accords qui sont publiquement mis en place entre l’artiste et la société, se cache en fait un deal entre le label et la société en question.
On digitalise et légitimise la payola…
Le système du streaming rappel beaucoup celui des radios. Ce qui explique également pourquoi les deux sont des produits pouvant se substituer l’un à l’autre. Les radios ont un playlisting déterminé en fonction de la réception des auditeurs. C’est un peu pareil avec les playlists sur les plateformes de streaming qui recensent (habituellement) les chansons les plus écoutées. Pourtant, certaines playlists dépendent exclusivement des accords qui ont été passés entre les labels et les boites de streaming.
Prenons la playlist » Today’s Top Hit » sur Spotify qui cumule à elle seule 27 millions d’abonnés.
Parmi les 5 premières places, 4 titres sont les singles les plus streamés actuellement dans le monde. L’artiste qui connait la plus grande hausse est Billie Eilish, qui est en couverture de la playlist. Les positions dans cette playlist changent en fonction des semaines. La durée moyenne des déplacements en France étant entre 46 et 52 mn A/R, les 15 premières places de cette playlist sont les plus importantes. Il est important de noter que selon une étude de Chartmetric, la grande majorité des chansons sont ajoutées plusieurs jours après leurs sorties. Et oui, Spotify se base sur des data spécifiques avant de rajouter une chanson. Donc lorsqu’un titre est immédiatement ajouté en tête de cette playlist, en ayant aucun data pour juger sa popularité : il s’agit d’un accord.
Aujourd’hui la notion d’accord ou de partenariat est tellement ancrée dans les pratiques commerciales, que l’on oublie qu’ils sont interdits dans la musique. Il s’agit tout simplement de concurrence déloyale. Pour résumer la situation, nous avons d’un côté 18 titres ajoutés au delà de 50 jours après (A), et de l’autre 2 titres qui sont immédiatement ajoutés à la playlist (B). La différence ? Les artistes des 2 titres (B) ont payé afin d’être mis en avant. Il s’agit de l’ébauche même de la payola.
Le mois dernier un article entier révélait plus de 2500 messages entre des animateurs radios et directeurs de labels concernant des deals cachés. Ces messages révèlent que plusieurs artistes comme Ed Sheeran, Dua Lipa et Shawn Mendes ont bénéficié de ces accords passés. Leur mise en avant sur les plateformes ainsi qu’à la radio est notamment due à ces deals « frauduleux ».
Les conflits d’intérêts
Le concept des playlists est en majorité consommé par des individus, mais ces dernières sont également utilisées dans les boutiques pour l’ambiance. Pareil pour les évènements (anniversaires, mariages, conférences…). Elles permettent à n’importe quel titre une grande exposition, mais surtout des streams gratuits. C’est pourquoi certains labels sont autant investis dans l’idée de mettre en avant leurs artistes à travers les playlists.
Certaines situations sont d’ailleurs très délicates et nécessitent une attention particulière.
Prenons par exemple le cas de Troy Carter, qui fut durant un temps le manager de Lady Gaga. Ce dernier a une vision qui lui a permis de croire dans le futur des entreprises de la Silicone Valley comme Spotify ou Uber. Il investit dans plusieurs de ces sociétés, et c’est comme ça qu’il s’est lié à Spotify, au même moment où Lady Gaga le vire de son poste de manager. Cette dernière possède aujourd’hui un des rares singles à avoir dépassé le milliard d’écoutes sur Spotify. Cependant, à une période elle n’avait aucune mise en avant sur cette plateforme, et il circulera (la rumeur) que Troy Carter était à l’origine de cette faible visibilité. De plus, lorsque ce dernier quitte la société en 2018, Lady Gaga connait par la suite une popularité sur Spotify qu’elle n’avait jamais eu.
Ceci est un exemple isolé, donc inversons le scénario. Prenons des labels possédant des parts dans les sociétés de streaming. Elles ont la possibilité de pouvoir mettre leurs artistes en avant, étant donné qu’il s’agit également d’un investissement gagnant pour les plateformes.
Tu n’as jamais eu l’impression qu’un artiste était présent dans toutes les grosses playlists ? En recherchant dans son équipe, on trouvera au moins une personne qui a investi chez Apple Music ou Deezer. Il y a un mot pour ce genre de situation: les conflits d’intérêts.
Les imperfections du streaming
On l’a évoqué tout à l’heure, nous ne sommes pas les seuls à écouter ces playlists populaires. Elles sont diffusées partout, et chaque diffusion compte. C’est là que réside deux des imperfections dans ce système. En tout premier lieu, les écoutes ne sont pas dissociées. Venons à penser que tu es un artiste qui a un gros buzz, la première écoute de ton single sera considéré comme une unité de vente. Il est très courant à la sortie d’un album de rap, de voir l’ensemble des classements inondés avec les singles. Parfois même, plusieurs dans le Top 10. On pourrait croire à un succès énorme, alors que la plupart du temps ces titres dégringolent dès la deuxième semaine.
Pourtant ces premières écoutes continueront d’être comptabilisées, permettant parfois à des artistes d’obtenir des disques d’or. Certification qui va inconsciemment donner l’impression qu’un titre est populaire, le consommateur lambda va donc l’écouter, créer plus de streams et voici que la boucle est bouclée. Il suffit donc qu’un label paye pour le placement d’un titre dans Rap Caviar, et la chanson sera jouée par le public et les boutiques de sports, chichas etc… 1 mois après la chanson est disque d’or, donnant l’impression que l’artiste plait au grand public, alors que souvent les retours des auditeurs en radios laissent sous-entendre qu’elle ne plaît pas. Et nous avons là notre deuxième imperfection, le business derrière les certifications. Bien qu’aucune preuve incriminante n’a été donnée à ce jour, il est très connu qu’il existe des bots jouant des musiques afin de faire grossir les chiffres en stream.
Pire…
… Aujourd’hui toutes les méthodes sont bonnes pour donner l’impression qu’un album se vend. Rappelle toi, on t’avais parlé de Camila Cabello l’an dernier. Le duo « Señorita » a été ajouté à son album pour grossir le succès de l’album qui a été un échec. Sur les 2,3 millions de streams qu’il a actuellement, 1.6 millions viennent directement de la chanson « Señorita » qui n’était pas prévu pour l’album.
L’achat des streams
Maitre Gims en parle ouvertement depuis quelques années maintenant. Certains artistes réalisent des scores de ventes qui n’égalise pas leur popularité. Les rumeurs se sont intensifiées lorsque plusieurs nouveaux rappeurs ont fait des premières semaines énormes. Des rappeurs sans hypes ni promo. Nous n’irons pas citer de prénom, à moins que tu connaisses un bon avocat pour nous … Mais tu devrais facilement te faire une idée d’eux désormais.
Les rumeurs semblent légitimes lorsque l’on voit que certains rappeurs n’arrivent même pas à remplir des salles. La méthode habituelle est désormais connue. Le label paye des faux streams et l’artiste rembourse le label en enchaînant des showcases. Cependant ces artistes ne sont jamais en tournée et lorsqu’ils le sont les shows s’annulent. La chaine M6 devait justement faire un documentaire sur ce sujet. Au moment de l’annonce, la chaine reçoit des menaces et pressions afin de stopper le projet. Eh oui, cela reviendrait à dévoiler que plusieurs artistes bénéficient d’une popularité virtuelle.
Ces faux streams ne sont pas que sur Spotify …
Youtube est une autre plateforme où les vues peuvent être trafiquées. Il y a la manière « légale », via les playlists du site. Prenons le cas de « Bon Appétit » de Katy Perry. Cette chanson sera son premier gros flop, mais un flop magistral qui détruira l’attente de son album. Le titre se classera pas plus haut que #59 aux USA, #37 au UK et #21 en France. Un désastre qui est contre balancé par le clip qui a désormais 1 milliard de vues sur YouTube. Et pourtant on ne peut pas qualifier cela de tricherie vu que le clip est juste présent dans plusieurs playlists.
Prenons maintenant le cas de 6ixe9ine, qui fait des démarrages allant facilement au delà des 40 millions de vues. Youtube ont révélé que l’artiste utilisait des sponsorisations pour augmenter le nombre de vues. Ceci reste en soi une méthode « légale » désormais. Toutefois, cette méthode ne l’aurait pas été il y 20 ans.
Et c’est donc bien là le problème, les faux streams et les méthodes pour augmenter les streams sont protégées par une industrie qui voue un culte à la culture du chiffre.
Que penses-tu de ces nouvelles pratiques ? Est-ce uniquement du business ou doit on garder le terme de payola ?
See you back on ANTHEM
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